j'ai mal

Publié le par Vincent Sévigné

Lettre ouverte destinée à l’émission « Les Chemins de la Foi »

 

Cette lettre ouverte peut être reproduite, publiée et/ou transférée librement, en tout ou en partie, sous la seule réserve de ne pas en dénaturer l’essence.

 

Le dimanche 3 juillet 2022, juste avant les « grandes vacances », dans le cadre de l’émission « Le Jour du Seigneur », les protestants et les catholiques conjointement ont fait diffuser un documentaire sur le thème : « Les veilleurs de l’Évangile, des chrétiens dans la guerre d’Algérie » ; le titre ne saurait dissimuler l’évidence ; il s’agit d’une présentation de certains aspects de la guerre d’Algérie ; désormais, beaucoup de téléspectateurs, notamment parmi les plus jeunes, ne connaissent la guerre d’Algérie qu’à partir de ce documentaire ; un téléfilm qualifié par David Milliat de « très beau documentaire ». Je suis en total désaccord avec la présentation des « évènements d’Algérie » proposée par ce téléfilm, astucieusement construit et axé, selon moi, sur le french bashing et une injustice semeuse de haine.

Je commence par donner mon point de vue, en me limitant à ce qui est en relation, directe ou indirecte, avec le documentaire précité.

 

La « guerre d’Algérie » s’est déroulé du 1er novembre 1954 au 5 juillet 1962, jour de l’indépendance de l’Algérie ; cette histoire est récente : si on le souhaite, il est donc facile de vérifier ce qui est affirmé dans ce billet. Par contre, les présentations des « évènements d ‘Algérie » sont, le plus souvent, passionnées, partisanes et contradictoires.

Le peuple de France était plutôt flatté que l’Algérie soit française ; toutefois, les jeunes du contingent envoyés en Algérie ont peu à peu constaté qu’ils y perdaient leur temps. Or, la contestation contre cette guerre, qui ne disait pas son nom, fut très limitée : pourquoi ? Selon moi, parce que l’arme essentielle des indépendantistes était le terrorisme pur et dur : celui qui consiste à faire exploser des bombes au milieu de la foule, femmes et enfants des deux communautés inclus. Le peuple français est viscéralement allergique au terrorisme pur et dur, qu’il fût dû au FLN, à l’OAS ou à d’autres : les attentats et les procès récents le prouvent abondamment.

Du 18 juin 1954 au 15 avril 1958, les chefs du gouvernement appartiennent au parti radical (Pierre Mendès France, Edgar Faure, Maurice Bourgès-Maunoury, Félix Gaillard) ou au Front Populaire (Guy Mollet, du 31 janvier 1956 au 21 mai 1957). C’est un gouvernement « de gauche ». Selon moi, deux hommes dominent très largement tous les autres : Pierre Mendès France et François Mitterrand.

Pierre Mendès France souhaitait l’indépendance de l’Algérie, assortie d’une forte coopération avec la France ; le FLN s’est opposé à cette option ; en France, la majorité de gauche, soutenue par la droite, n’a pas choisi cette voie ; au contraire, elle a intensifié la lutte armée contre les « rebelles ». François Mitterrand était d’accord avec cette orientation ; à mon avis, notamment pour s’opposer à son rival, Pierre Mendès France ; un peu comme Jacques Chirac s’est opposé à Valéry Giscard d’Estaing.

François Mitterrand a été ministre de l’intérieur du 19 juin 1954 au 5 février 1955 et ministre de la justice du 1er février 1956 au 21 mai 1957.

 

Nombre de généraux français prestigieux n’approuvaient pas la politique de ce gouvernement : ils avaient l’expérience des guerres coloniales ; mais l’armée française est au service du pouvoir politique, même si ce pouvoir lui déplaît.

 

Je connais un peu la mentalité des officiers de l’armée française il y a soixante ans : le panache, Cyrano ; la torture ne fait pas partie de l’ADN de l’armée française ; certes, sur le terrain, surtout quand les exactions du FLN furent particulièrement odieuses, des dérapages furent inévitables, mais cela n’explique pas tout. La loi publiée le 17 mars 1956 donnait d’importants pouvoirs à certains éléments de l’armée pour assurer la répression. Les DOP (Détachements Opérationnels de Protection), la « gestapo française », ont été mis en place en 1956 et opérationnels début 1957 ; ils constituaient une entité relativement indépendante du pouvoir militaire exactement comme la gestapo allemande était relativement indépendante de la Wehrmacht ; les officiers des DOP, tous volontaires, étaient des officiers de l’armée française, méprisés mais tolérés par les autres officiers : le général Aussaresses l’a dit lui-même ; lorsqu’un algérien était soupçonné d’appartenir au FLN, on faisait appel à la « gestapo française » pour « l’interroger ». C’est évidemment le ministre de la justice, François Mitterrand, qui aurait dû s’opposer à la création des DOP.

 

En 1957, Robert Lacoste, gouverneur général de l’Algérie, fait appel au général Massu qui entre à Alger le 8 janvier 1957 avec huit mille paras : c’est le début de la bataille d’Alger ; selon mes informations, la délation a fonctionné au-delà des espérances : une partie du petit peuple algérien était déjà excédé par les exactions du FLN ; la suite de l’histoire expliquera cette réaction ; en quelques mois, le général Massu gagne la bataille d’Alger.

Au milieu de l’année 1958, la ligne Morice barrait quasi-complètement la frontière entre l’Algérie et la Tunisie ; en Algérie, le FLN était complètement asphyxié ; l’armée française avait gagné la bataille militaire ; plus que jamais, la seule arme du FLN était le terrorisme pur et dur ; si la France avait été une dictature de type soviétique, l’Algérie ne serait pas devenue indépendante.

Mais, heureusement, la France est une démocratie, certes imparfaite. Dès 1958, le FLN avait gagné moralement la guerre ; tous les pays, à juste titre, donnaient tort à la France. Le gouvernement, complètement déstabilisé, fit appel au général de Gaulle ; les accords d’Évian ont été signés le 18 mars 1962 ; l’indépendance de l’Algérie a été proclamée le 5 juillet 1962.

 

Les accords d’Evian étaient très clairs : " Nul ne peut être inquiété, recherché, poursuivi, condamné ni faire l'objet de décision pénale, de sanction disciplinaire ou de discrimination quelconque, en raison d'actes commis en relation avec les événements politiques survenus en Algérie avant le jour de la proclamation du cessez-le-feu". On ne pouvait pas demander plus.

 

Après l’indépendance, sous la gouvernance du FLN, le peuple algérien s’est laissé aller à un génocide contre les harkis, les supplétifs, la plupart de ceux qui avaient accepté de prendre des responsabilités administratives et leurs familles ; ceci restera une tache indélébile dans l’histoire du peuple algérien. En France, me direz-vous, il y a eu Robespierre, la Terreur, les noyades de Carrier, les colonnes infernales ; certes, mais cela n’a duré qu’un temps ; le peuple français, dont certains Vendéens, a su arrêter les excès de sa Révolution.

 

Certes encore, le peuple algérien n’est pas le seul responsable du déferlement sadique précité ; en 1962, pour tous les intellectuels algériens, notamment les idéalistes comme Ben Bella, la référence morale indiscutée, c’était la France ; les églises, les médias et les intellectuels, notamment ceux qui, tel Jean-Paul Sartre – la référence absolue de l’époque, avaient accepté de « porter les valises » – pour le FLN, auraient dû s’élever contre ce génocide ; s’ils avaient publié une tribune, dans le journal « Le Monde » ou ailleurs, ils auraient été entendus ; le FLN avait besoin du soutien moral international.

 

Certains accusent le général de Gaulle d’avoir « abandonné » les harkis ; selon moi, il ne pouvait pas faire plus ; le FLN n’aurait pas toléré une action venant du chef de l’état français ; ce sont les médias, les églises et, surtout, les intellectuels qui ont abandonné les amis de la France. Quant à faire venir en France tous ceux qui avaient des responsabilités administratives ou autres et qui n’adhéraient pas au FLN, c’est exactement comme si on avait demandé à tous les gendarmes, policiers et responsables administratifs français et non partisans affichés des maquisards de partir en Allemagne en 1945.

 

Les harkis, les supplétifs et, a fortiori, les administratifs divers n’étaient pas des traîtres ; ils défendaient l’état de droit ; ils se battaient contre l’anarchie et contre le terrorisme pur et dur ; ils pouvaient jauger, voire juger, les cadres du FLN ; je trouve tout à fait normal qu’un grand nombre d’entre eux aient plus fait confiance à la France qu’au FLN ; surtout ceux qui avaient combattu, avec la France, contre l’hydre nazie. J’ai été personnellement en coopération en Algérie en 1968  avec mon épouse ; nous y avons été chaleureusement accueillis ; rien à voir avec, en France, la haine du boche qui sévissait en 1951 . Or, pour un spectateur peu informé, le téléfilm précité laisse entendre que les « veilleurs de l’Évangile » auraient dû être au côté du FLN ; je ne vois vraiment pas pourquoi ; c’était un choix humain, particulièrement difficile comme dans toutes les guerres civiles ; je suis Vendéen, et fier de l’être.

 

Quelques « détails » annexes où je ne suis pas d’accord avec la présentation proposée par le téléfilm que je mets en cause. Les paysans n’étaient pas alphabétisés : certes, mais ceci était un phénomène mondial ; ce n’est qu’à partir de la Révolution française, notamment la guerre de Vendée, que l’instruction populaire a commencé à éclore ; il est normal que ce processus soit apparu dans les colonies après la métropole et ce retard ne scandalisait pas l’intelligentsia algérienne ; quoi qu’il en soit, après l’indépendance et malgré le départ des pieds-noirs, tout, absolument tout, fonctionnait correctement ; c’est donc que l’éducation n’était pas si mauvaise ; enfin, tout, sauf … le FLN.

Les Algériens étaient regroupés dans des camps insuffisamment organisés ; certes, mais c’était aussi pour les protéger contre les exactions du FLN ; quand il n’y a plus d’état de droit, comme durant la guerre de Vendée, avec les « chauffeurs de pieds », c’est le règne de l’arbitraire et du plus fort.

Duval est présenté comme un héros au grand cœur : non, Duval était au service de Rome ; comme toujours, dès que l’indépendance est apparue inéluctable, l’église catholique (le Vatican) a cherché à se mettre bien avec le futur pouvoir politique ; Duval a assumé sa « mission » avec rigueur et efficacité ; mais, après l’indépendance, il s’est bien gardé de protester contre l’attitude du FLN. La protection essentielle de l’église catholique, ce ne fut pas lui mais Notre-Dame d’Alger, la maman de Jésus, vénérée par les musulmans. Le père Scotto, que j’ai eu l’honneur de rencontrer brièvement, me disait : « Je suis une présence de Jésus-Christ en monde musulman ».

 

Dans ce téléfilm, j’ai aussi noté quelques omissions : le rôle psychologique déterminant du terrorisme pur et dur, l’absence de référence aux gouvernements de gauche, notamment à François Mitterrand, l’absence de distinction entre l’armée française et la « gestapo » française, le fait que le pouvoir (durant les « évènements d’Algérie ») appartenait explicitement au pouvoir politique et non au pouvoir militaire, le fait que l’armée française est au service du pouvoir politique, même si ce pouvoir lui déplaît, le fait que, après l’indépendance, le FLN n’a pas respecté les accords d’Evian, le silence assourdissant des intellectuels français, Jean-Paul Sartre en tête, lors du génocide perpétré par le peuple algérien après l’indépendance.

 

Lorsque les hommes du FLN ont été neutralisés, ils ont fait appel aux femmes ; des femmes algériennes se sont habillées à l’européenne, se sont maquillées, se sont transformées en pin-up ; puis, elles ont été déposer des bombes auprès d’autres femmes, auprès d’enfants, auprès d’enfants innocents, auprès d’enfants des deux communautés. Et les bombes ont explosé. Les « veilleurs de l’Évangile » précités, qu’en ont-ils pensé ? Ont-ils contesté, comme Germaine Tillion ? Ont-ils cautionné, sciemment ou par leur silence ? Le téléfilm n’en parle pas ; un sujet tabou ? Ou un sujet sans importance. Ces femmes sont-elles plus libres aujourd’hui qu’avant l’indépendance ?

 

Lorsque les omissions atteignent un tel niveau, il ne s’agit plus d’omissions mais de falsification de l’Histoire au profit d’une idéologie partisane : l’un des pires péchés contre l’esprit.

 

De plus, quelle a été l’attitude des « veilleurs de l’Évangile » cités en exemple dans le téléfilm que je mets en cause et de l’église catholique en général, après l’indépendance de l’Algérie ?

Face à Poutine, Erdogan et les autres, est-ce opportun de salir injustement l’armée française et d’appeler, implicitement, à la désobéissance civique ?

Enfin, que faut-il penser du comportement et des actions du FLN depuis l’indépendance de l’Algérie ? On juge un arbre à ses fruits.

 

Je regarde souvent, en tout ou en partie, les émissions du dimanche matin, sur France 2 : « Les chemins de la foi ». Je ne me sens pas du tout attiré par le bouddhisme ; je préfère croire en un Dieu qui m’aime personnellement ; par contre, les séquences proposées par l’Union bouddhiste de France m’ont énormément apporté ; leur richesse est inépuisable.

Selon moi, les présentateurs de l’Islam sont les harkis d’aujourd’hui ; ils « trahissent » l’Islam radical avec compétence, lucidité et héroïsme ; si l’Islam radicalisé prend le pouvoir en France, avec le soutien d’Erdogan et la complicité d’intellos dénaturés, ils seront les premiers torturés jusqu’à la mort, avec leurs familles. Méditez sur ce qu’il se passe en Iran et en Afghanistan, l’un de nos avenirs possibles ; le petit peuple de France prend conscience de ce danger : ce n’est pas par hasard que, aujourd’hui, il y a 88 députés du Rassemblement National.

« À l’origine » m’intéresse ; c’est le fondement de notre civilisation ; parfois, l’aspect « brosse à reluire » au profit d’un Juif ou d’une structure juive m’irrite un peu.

Quoi qu’il en soit, ces trois séries d’émissions sont, le plus souvent, bonnes et, parfois, remarquables ; elles sont, pour moi, une raison d’espérer dans un avenir rayonnant pour l’âme de la France.

 

L’église catholique a su imposer à ses fidèles l’obligation de l’eucharistie dominicale ; avec l’âge ou le covid, cette contrainte peut se limiter à « regarder » la messe à la télévision ; les anciens, dont je suis, ne se libéreront pas de ce carcan ; mais, je le crains, parmi les « jeunes », seuls les intégristes persévéreront. Selon moi, l’organisation catholique ne sait pas bénéficier d’un public disponible et motivé pour dynamiser la foi des fidèles : une liturgie obnubilée par le péché (pour rassurer les prêtes pédophiles ; ils ne sont pas les seuls à être pécheurs ?), des canons sclérosés, des sermons lénifiants mais peu engageants, sauf rares exceptions.

Mais, lorsque la chrétienté, catholiques et protestants réunis, nous propose, comme temps de réflexion, et donc d’élévation, le téléfilm précité, il y a vraiment le feu dans la maison.

 

Ces temps-ci, les mauvaises nouvelles ne manquent pas : le réchauffement climatique, l’invasion de l’Ukraine, les révélations sur les dérives de l’église catholique, l’inflation, la récession, etc. Et pourtant, pour ma sensibilité à moi, la diffusion du téléfilm précité, dans le cadre d’une émission religieuse, est l’évènement le plus désespérant pour l’avenir ; quel avenir ? L’avenir de l’âme de la France, l’avenir de la chrétienté et, surtout, l’avenir des Algériens.

 

Benjamin Stora a le droit de « débiter des fadaises » mais « Le jour du Seigneur » n’est pas une tribune libre.

 

À titre strictement personnel et contestable, voire injuste, je vais beaucoup plus loin : chacun son histoire ; ce qui me fait le plus mal dans l’idéologie qui sous-tend ce téléfilm, c’est le mépris pour ceux qui ont cru dans la France et non dans le FLN ; je me sens beaucoup plus proche d’eux, et des « vaincus » de la guerre de Vendée, que des « veilleurs de l’Évangile » prônés dans le « documentaire ».

 

Certains harkis ont été torturés, jusqu’à la mort, pour donner le nom de leur famille, et ont réussi à se taire ; un jour, je l’espère, justice leur sera rendue ; l’avenir de l’âme des Algériens est à ce prix. Faudra-t-il attendre que l’un des enfants dont le père a été ainsi sauvé devienne artiste et sculpte le tombeau de son grand-père ?

Jean Pellaumail

 

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