Algérie : le devoir de mémoire

Publié le par Vincent Sévigné

Pour Noël, on m’a offert « L’Art de perdre » (Flammarion, 2017) : un roman bien écrit et émouvant basé sur une héroïne française d’origine algérienne qui s’interroge sur ses racines. Selon moi, les pages sur la guerre d’Algérie sont encore trop empreintes de contestation injuste, voire de dénigrement affirmé, de la France en général et de de Gaulle en particulier. Pour autant, ce premier pas sur le devoir de mémoire va dans la bonne direction.

 

Tout d’abord, et c’est déjà considérable, cet essai est formellement exact et il n’y a pas de lacune majeure ; l’auditeur averti peut alors lire entre les lignes. De plus, si Alice Zeniter avait été plus avant dans sa relecture du passé, elle n’aurait pas été publiée, ni, a fortiori, plébiscitée : de nombreux prix littéraires, en France et à l’étranger ; respecter la doxa à la mode est un impératif qui constitue une chape de plomb encore plus prégnante pour les livres que pour les autres médias.

 

Ceci dit, mes réserves sont de taille. Tout d’abord, je rappelle que de Gaulle n’est pas responsable de la guerre d’Algérie ; au contraire, c’est lui qui a réussi à l’arrêter, et ce n’est pas rien. Par ailleurs, je ne suis pas d’origine algérienne, mais je suis Vendéen ; les correspondances entre la guerre d’Algérie, la guerre de Vendée et l’occupation de 39-45 me semblent de plus en plus éclairantes. Le vent de l’Histoire était, incontestablement, en faveur de la Révolution française et de l’indépendance de l’Algérie. Je crois pourtant que les héros vendéens qui se sont battus contre les excès de la Terreur ont droit à notre estime, voire notre admiration ; mais il a fallu deux siècles avant de pouvoir énoncer sereinement cette affirmation.

 

Le monde d’aujourd’hui va plus vite que celui d’hier ; il faudra tout de même encore quelques décennies, sinon plus, pour pouvoir partager les évidences majeures. Les Algériens qui ont choisi la France n’étaient ni des opportunistes, ni des traîtres ; il me semble important que leurs descendants acquièrent cette conviction ; autant que j’ai pu en juger, madame Zeniter n’en est pas encore là, ou, du moins, n’ose pas l’expliciter. Ceux qui ont soutenu les « porteurs de valises », tel Jean-Paul Sartre, et qui, contrairement à Germaine Tillon, n’ont pas eu le courage de dénoncer le terrorisme pur et dur, ont fait preuve d’un manque de lucidité bien plus dévastateur et dont les scories demeurent aujourd’hui.

 

En l’an 2000, Abdelaziz Bouteflika osait encore comparer les « harkis » aux collabos de 39-45 ( page 357 ) ; probablement pour se rassurer avant de comparaître devant le trône d’Allah, le Très Miséricordieux ; en effet, il a, lui aussi, cautionné, sinon plus, le génocide ; comme en France en 39-45, les véritables collabos algériens étaient peu nombreux : le commando Georges, les personnels des DOP et quelques autres ; ceux que l’on appelle, pour simplifier, les harkis étaient de modestes « troufions », peu informés, ou des « petits notables stabilisateurs » dont une liste relativement exhaustive est donnée page 167 du livre précité et dont l’Algérie aurait eu le plus grand besoin. En 39-45, de Gaulle lui-même a demandé aux responsables français locaux de rester en place pour assurer la continuité de l’État français ; à la libération, on n’a pas emprisonné les aviateurs français restés fidèles à Vichy et qui avaient combattu contre la RAF ; en 1968, coopérant en Algérie, j’y ai été accueilli chaleureusement : rien à voir avec la haine du boche que de Gaulle et Adenauer ont eu beaucoup de mal à enrayer (dès 1958).

 

Selon moi, en 1962 et, entre autres, grâce à la France et à de Gaulle, l’Algérie avait absolument tout pour devenir une grande nation moderne ; c’est au peuple algérien, et à lui seul, qu’il revient de juger l’action des héros de l’indépendance à partir de celle-ci. L’aptitude à poser – ou à faire poser - des bombes, y compris auprès des femmes et des enfants appartenant aux deux communautés, n’est pas forcément un gage de compétence pour diriger un état.

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